Chers vous tous,

Cette fois-ci il ne sera pas question de chiffres, ni de vaccins ni d’autres informations sur le virus lui-même.

Il nous semble important de traiter l’aspect juridique des mesures sanitaires en vigueur dans le pays où nous vivons. Ce thème fait l’objet d’une actualité particulièrement chargée cette semaine.

Nous consacrerons ce bulletin ainsi que d’autres qui suivront, aux thèses niant la gravité de la pandémie, voire la pandémie actuelle, aux théories du complot et autres problèmes auxquels beaucoup d’entre nous sont confrontés de près ou de loin.

  1. Actualité juridico-politique.

Pour commencer nous allons revenir sur les conséquences qu’ont provoqué la plainte en référé, mardi dernier, la Fondation Viruswaarheid (Vérité sur le virus) concernant la mesure de couvre-feu. En deuxième partie, nous parlerons de ce groupe qui représente un exemple de déni de la gravité de la pandémie sans pour autant verser dans le conspirationnisme, ce qui est peut-être encore plus dangereux, car plus persuasif pour certains.

Nous aborderons deux aspects distincts de la procédure de plainte en référé : la forme et le fond.

Selon le juge des référés, le couvre-feu représente une violation flagrante du droit à la liberté de circulation et de la vie privée. Cela nécessite un processus décisionnel très minutieux, a statué le juge, qui a ordonné la levée immédiate du couvre-feu.

Pour imposer ce couvre-feu, il a été fait usage de la « loi sur les pouvoirs extraordinaires de l’autorité civile », loi datant de 1952, révisée en 1996 – Wet buitengewone bevoegdheden burgerlijk gezag (Wbbbg) -, selon laquelle le Sénat (Eerste kamer) et la Chambre des députés (Tweede kamer) n’ont pas à être impliqués dans la prise de décision.

Cependant, selon le juge, il n’y avait pas d ‘ « urgence spéciale » pour faire appliquer la loi. Le fait qu’avant l’introduction d’un couvre-feu, celui- ci a été longuement discuté, montre, selon le tribunal, que les « conditions spéciales » requises pour l’application de la loi n’étaient pas remplies.

Selon le juge, même s’il y a une situation préoccupante, celle-ci n’est pas « extrêmement urgente ».

La loi employée est destinée « aux situations qui ne peuvent être reportées en raison d’une urgence aiguë ». Ce que le juge dit en fait, c’est que le couvre-feu a été instauré sur la base d’une loi qui n’aurait pas dû être employée.

Le gouvernement aurait donc manqué d’assurance et n’aurait pas suivi les avis de différents juristes concernant une éventuelle invalidation de la décision, ce qui s’est produit. Le gouvernement a décidé de faire appel.

Le jour même de la décision du juge des référés, un autre juge a décidé que la mesure de levée du couvre-feu ne pouvait être effective qu’après éventuelle confirmation par la cour d’appel. La Fondation Viruswaarheid a contesté la décision (wraakingsverzoek = récusation) et a demandé un délai. Un conseil de 3 juges l’a débouté.

Des critiques se sont élevées contre un des 3 juges, à savoir Mme Marie-Anne Tan-de Sonnaville qui aurait suivi l’avis de Jaap van Dissel, directeur du RIVM, parce qu’ils avaient siégé ensemble en 2008 dans le conseil de discipline pour juger un médecin et pour d’autres affaires, pas plus pas moins. Cette juge ayant en plus nommé la Fondation Viruswaarheid par son ancien nom « Viruswaanzin », des critiques insensées et injustifiées sur son impartialité se sont élevées de toutes parts.

Tout ceci concernant la forme, revenons maintenant sur le fond qui a motivé la décision du juge en dehors de l’application d’une loi qui n’était pas la bonne.

Le juge souligne que l’utilité du couvre-feu n’a pas encore été prouvée, car d’autres mesures anti-corona ont également été imposées en même temps que l’imposition du couvre-feu. Par ailleurs, ce même juge trouve que les soins ne sont plus sous pression comme au début de la pandémie.

C’est là que le bât blesse. Le juge se mêle des avis de l’Outbreak Management Team (OMT) et du RIVM, ce qui n’est pas dans ses compétences. Il peut émettre un jugement sur la conformité légale d’une décision mais pas sur les bases scientifiques qui la motivent. 

L’avocat de l’État a fait valoir au nom de l’État que la pandémie est une situation grave et qu’une procédure d’urgence pour assurer le couvre-feu était donc nécessaire. Les autres mesures anti-corona actuellement en place avaient été évaluées comme non suffisantes pour lutter contre l’évolution de la pandémie et l’émergence de variants potentiellement dangereux.

Une loi d’urgence « spoedwet » intégrant les mesures de couvre-feu dans la « loi corona » a immédiatement été élaborée.

Pourquoi en même temps un appel de la décision du juge et une loi d’urgence ? C’était une façon de sécuriser le maintien du couvre-feu si la Cour d’appel se prononçait contre l’État.

Et cette loi d’urgence ? Le nom dit tout : c’est une loi spéciale qui peut être introduite plus rapidement que d’habitude. Si le projet de loi est adopté, le cabinet aura la base juridique dont il a besoin pour le couvre-feu.

Contrairement à la « loi sur les pouvoirs extraordinaires de l’autorité civile » (Wbbbg), le Sénat et la Chambre des députés doivent donner leur accord. Le Roi a signé la loi dès mardi soir, le Conseil d’État – le conseiller le plus important du gouvernement – a été immédiatement sollicité et la Chambre des députés a débattu et approuvé jeudi dernier la loi d’urgence.

Vendredi, le Sénat a suivi l’avis de la Chambre des députés, donc la loi d’urgence a été adoptée et le couvre-feu reste en vigueur.

Concernant la procédure en appel du gouvernement, la Cour à La Haye statuera vendredi 26 février, celle-ci ayant besoin de plus de temps pour étudier la question « en profondeur ».

Ce qui sera intéressant à suivre dans cette affaire sera la base du verdict de la Cour.

D’un côté l’avocat de l’État a expliqué pourquoi le gouvernement considère le couvre-feu comme une mesure nécessaire et qu’il existe effectivement des « circonstances extraordinaires ». Ce faisant, il a souligné les conseils urgents de l’OMT, qui suggéraient la mise en place d’un couvre-feu pour tout faire pour contrer les variants de la Covid-19.

D’un autre côté, la Fondation Viruswaarheid, tout en ne niant pas le danger du virus pour certains groupes à risque, a continué à s’enferrer dans le déni du danger du virus, considérant le couvre-feu comme une privation de liberté totalement disproportionnée.

Un immunologiste, professeur émérite, de cette fondation s’est opposé au «regroupement» de toutes les mutations du virus sous le titre de «variant britannique». Il a également constaté qu’avec ce virus, on accorde trop d’attention à la contagiosité et trop peu à ce qui rend quelqu’un malade.

Plusieurs experts juridiques sont surpris de la tournure que prennent les choses, à savoir quelle est la compétence de la Cour à juger de la validité ou non de certains arguments avancés par la Fondation Viruswaarheid contre l’avis de l’Outbreak Management Team (OMT) qui a déjà menacé de démissionner et une Red Team qui a longuement reproché à cette même OMT la faiblesse de ses décisions.

De toute façon, quel que soit le verdict, le couvre-feu reste en vigueur de par la loi d’urgence adoptée le 19 février.

  • Du déni aux théories du complot.

La pandémie actuelle a provoqué un tel traumatisme social à différents niveaux que des lignes de fractures et des failles dans nos sociétés sont apparues. Depuis le début de la pandémie, nous assistons à une dangereuse multiplication des théories allant du déni de la science aux théories conspirationnistes. Cette tendance traduit un malaise sociétal croissant et les conséquences pourraient en être graves devant des menaces d’ampleur inédite de la pandémie de Covid-19.

La lutte contre la Covid-19 implique des actions collectives à grande échelle ayant des conséquences sur nos libertés individuelles, actions qui sont justifiées pour protéger les populations. Ceux pour qui la liberté individuelle prime sur le bien collectif, ainsi que ceux et celles qui ont perdu confiance en l’État ou qui se sont désengagés de nos institutions civiques trouvent refuge dans ces théories. Dans le cas de la Covid-19, des groupes comme Viruswaarheid déploient des stratégies de défense et de déni dont nous allons essayer de comprendre les mécanismes.

  1. Le déni de la science :  la gravité de la pandémie est exagérée. Par exemple, la pandémie actuelle ne serait pas plus dangereuse qu’une épidémie de grippe assez forte.
  • Un choix minutieux des sources utilisées pour valider l’affirmation : des sources conformes à ce qu’on veut affirmer ou prouver sont faciles à trouver sur Internet. Ces sources sont la plupart du temps les opinions de scientifiques dissidents qui contestent les connaissances établies par la communauté scientifique et qui rejettent l’ensemble des sources validées scientifiquement. L’apparente référence à des explications scientifiques prend au piège ceux qui ne perçoivent pas la différence entre la réalité et la fiction.
  • Un choix minutieux des faits : ces faits, basé sur une sélection de faits souvent anecdotiques et contraires aux données scientifiques, sont utilisés dans le but de confirmer l’hypothèse émise. Un exemple pourrait être « une personne centenaire a survécu à la COVID-19, c’est la preuve que l’infection à Covid-19 n’est pas si dangereuse que ce qu’on dit. »
  • Un choix minutieux des statistiques : la manipulation des chiffres et statistiques a pour seul but d’invalider la science. Diverses statistiques faussées, tronquées, sorties de leur contexte sont régulièrement utilisées pour prétendre que la pandémie n’a pas fait autant de victimes qu’annoncé, qu’elle n’est pas plus mortelle que la grippe ou qu’elle est terminée.

Une argumentation farfelue est alors construite, très complexe et apparemment bien documentée, provoquant la conviction de l’existence d’un complot éventuel. Le pas du déni à la théorie du complot est vite franchi. Nous continuerons de développer ce sujet dans les bulletins à venir.

  • La Fondation Viruswaarheid ou la Vérité sur le virus.

La Fondation Viruswaarheid (Vérité sur le virus), active à l’origine sous le nom de Viruswaanzin (Folie du virus), est un groupe d’action néerlandais qui critique la stratégie du gouvernement néerlandais contre le coronavirus. La fondation est enregistrée à la Chambre de commerce au nom du professeur de danse Willem Engel. Engel, diplômé en biopharmacie de l’université de Leyde, se consacra en 2001 au mouvement musical Zouk. L’avocat Jeroen Pols et lui se présentent en tant que porte-parole.

Selon Viruswaarheid, la Covid-19 est aussi mortelle qu’un virus de la grippe moyen à grave.

Origines.

D’après ses propres dires, M. Pols avait déjà commencé à préparer des procédures judiciaires contre les mesures prises pour lutter contre la crise sanitaire lorsqu’il rencontra Willem Engel qui avait des doutes sur le fondement scientifique de ces mesures. Lors de leurs premières apparitions dans les médias, ils ne précisèrent pas que Pols avait été pendant des années le conseiller juridique de la famille Engel et en particulier du père de Willem, Cees Engel, marchand de sommeil et opposant systématique originaire de Rotterdam et propriétaire du camping Fort Oranje à Zundert.

Willem Engel apparut pour la première fois en public le 29 mai 2020 au Café Weltschmerz. Dans une interview d’une heure et demie, il mit en doute la fiabilité des modèles utilisés par le RIVM, les recherches de la banque de sang Sanquin, la possibilité d’élaborer des vaccins contre les infections des voies respiratoires et il affirma que le SRAS-CoV-2 ne se propage pas uniquement par projection de grosses gouttelettes, mais aussi par des aérosols. C’est notamment en raison de cette dernière affirmation que Maurice de Hond fit l’éloge de cette interview, selon lui « de loin la meilleure de ces derniers mois ». Sur le fond, les points soulevés par Engel furent réfutés par le sceptique Pepijn van Erp sur le site web Kloptdatwel (Est-ce vrai) et plus tard sur Follow the Money.

Procédure judiciaire

En juillet 2020, Viruswaanzin intenta une procédure en référé contre le gouvernement néerlandais en exigeant le retrait des mesures qui, selon elle, entravent les droits civiques des citoyens. La requête fut rejetée car selon le président du tribunal de La Haye, le gouvernement avait fondé ses mesures sur les conseils de l’Outbreak Management Team (équipe de gestion de la pandémie) et qu’il avait donc été satisfait au critère de la diligence.

Controverses

Bien qu’au début, le groupe se soit contenté de questions critiques, il a élargi ses activités en organisant également des manifestations. Celles-ci se sont terminées par des émeutes à la suite desquelles la rhétorique changea début août 2020 avec l’annonce d’un soulèvement populaire sanglant et des comparaisons avec le meurtre des frères De Witt.

Début août, Viruswaarheid publia sur son site web une déclaration de médecins sympathisants avec laquelle il serait possible d’être exempté du port du masque dans les transports en commun. L’Inspection néerlandaise des soins de santé et de la jeunesse (IGJ)  a alors réprimandé ces médecins. Willem Engel compara l’obligation de porter un masque au port de l’étoile jaune pour les Juifs.

À l’automne 2020, les critiques furent surpris par les messages vidéo de Willem Engel dans lesquels il se distanciait de la démocratie parlementaire qui ne représenterait pas le peuple, parlait de traîtres et appelait à la collecte de preuves contre les politiciens, les scientifiques et les rédacteurs en chef qui, selon lui, devraient à l’avenir être exclus des fonctions publiques ou traduits en justice. Engel affirmait que par contre qu’il était accusé à tort – tout comme des médias critiques tels que le Gezond Verstand, Weltschmerz et RT Dutch – de sympathies pour l’extrême droite.

#ikdoenietmeermee (c’est fini pour moi)

Les critiques ont tenu Viruswaarheid pour responsable de l’action de néerlandais connus tels que Famke Louise et Bizzey, qui se servirent du hashtag #ikdoenietmeermee pour appeler les jeunes à s’opposer aux mesures gouvernementales. Cet appel fut qualifié par les hommes politiques d’« entièrement fautif » (Lodewijk Asscher, leader du PvdA) et

d’« irresponsable » (Hugo de Jonge, ministre de la santé et leader du CDA). Plusieurs néerlandais connus qui avaient initialement publié des vidéos pour soutenir Viruswaarheid ont retiré ces vidéos après les critiques.

Ce groupe annonce lutter pour la préservation d’un État constitutionnel démocratique dans lequel les enfants ont encore la possibilité de se développer librement et de vivre une vie avec leurs propres croyances et opinions. Ces libertés et droits fondamentaux ont été de plus en plus compromis au cours de la dernière décennie.

Leur stratégie est basée sur 3 principes :

  1. La recherche qui consiste à enquêter sur des politiques efficaces pour prévenir de nouveaux dommages médicaux, psychologiques, sociaux et économiques.
  2. L’information des citoyens la plus complète possible afin qu’ils puissent faire des choix dans une large perspective.
  3. Le contentieux consistant à organiser des poursuites contre le gouvernement et les instances gouvernementales pour obtenir des preuves du bien-fondé de la politique mise en œuvre, ce à quoi nous assistons actuellement.

Tous les ingrédients sont réunis pour essayer d’influencer les populations pour les persuader que la pandémie actuelle est loin d’être aussi grave qu’on veut bien le dire.

C’est en visitant leur site, qu’on s’aperçoit plus ou moins rapidement que les liens annoncés sont soit anciens, soit mènent vers des sites employant tous la même rhétorique de dénégation du problème ou vers des sites complotistes.

« La politique pure ou raison d’État considérée comme un arbre portant, indifféremment, le bien ou le mal en matière de morale, mais également riche d’une perfection qui lui est propre, perfection que vous appellerez à votre convenance perspicacité ou prudence ».

Benedetto Croce (Histoire de l’époque baroque en Italie, Bari, 1946)

Xavier Falières

Toute l’équipe pour la relecture.

Un grand merci à Marie-Lise Bernard van Lammeren, pour sa participation à la traduction.

Sources :

https://nos.nl/artikel/2368915-rechter-zet-per-direct-streep-door-avondklok-geen-sprake-van-acute-noodsituatie.html
https://www.nu.nl/binnenland/6116793/wrakingskamer-bekijkt-of-rechters-vooringenomen-zijn-in-proces-avondklok.html?redirect=1
https://www.bnr.nl/nieuws/politiek/10433032/nieuwe-spoedwet-moet-extra-basis-geven-voor-avondklok
https://www.nrc.nl/nieuws/2021/02/17/gewraakte-avondklok-rechter-zat-staat-eerder-wel-dwars-a4032234

Arnaud de la Croix : 13 complots qui ont fait l’histoire. https://www.racine.be/sites/default/files/books/issuu/9782390250418.pdf

https://viruswaarheid.nl/
https://nl.wikipedia.org/wiki/Viruswaarheid