Pour tout savoir sur le système de santé néerlandais, Webinaire du 13 juin 2020 sur Eventbrite animé par Xavier Falières

Xavier Falières travaille à l’hôpital Albert Schweitzer à Dordrecht depuis 18 ans. Au fil de ses posts sur Facebook, destinés à partager des informations relatives au Coronavirus et à la situation aux Pays-Bas, cet anesthésiste français est devenu un référent suivi par la communauté francophone.

A lire également, l’interview recueillie par Anne Leray publié le 8 avril 2020 dans La Haye des Arts.

« Je ne suis que le rapporteur de faits scientifiques »

Sur sa photo de profil Facebook, Xavier porte masque, lunettes et visière. J’avais envie d’aller voir de l’autre côté du profil, pour faire un peu plus connaissance avec cette personnalité investie et passionnée. Il a gentiment accepté cette invitation à parler de lui, de son métier et de la situation aux Pays-Bas. Quand notre conversation a commencé, il était occupé à rassembler des renseignements avec son fils, sur les compositions du Propofol vétérinaire, anesthésique utilisé pour endormir les animaux et qu’il est question d’employer aujourd’hui pour la sédation des patients ventilés en réanimation, afin de faire face au manque de produits anesthésiants. « Je ne pense pas qu’on acceptera. Ce n’est pas bon chez les insuffisants hépatiques et rénaux. Notre hôpital est un centre du cancer du foi et de dialyse, ce sont des gens qui sont fragiles », explique-t-il.

Bonjour Xavier. Vous êtes anesthésiste et semble-t-il très engagé dans votre métier ?
Je suis anesthésiste oui, et je m’occupe aussi des internes et des étudiants qui vont faire de l’anesthésie. J’enseigne à Rotterdam et je suis aussi professeur d’anesthésie en Birmanie où je vais régulièrement depuis 20 ans. J’ai commencé le Pakistan voici un an, où ils m’ont gentiment invité. J’aime bien mon boulot. Je fais de la recherche, des congrès, je communique, je travaille à plein temps. Je devais d’ailleurs me rendre dans peu de temps à Madrid et au Pakistan, mais…

Qu’est-ce qui vous amené à vous installer aux Pays-Bas ?
J’y ai rencontré mon ex, et je suis resté. Il y a toute une palanquée de gens dans ce cas. Je vis aux Pays-Bas depuis 27 ans, et suis devenu plus néerlandophone que francophone. J’ai étudié à Marseille et j’avais été nommé en Belgique pour passer l’internat, à Liège. J’avais donc fait mes valises. Puis je me suis installé à Maastricht, on est retournés vivre en France six mois, et je me suis réinstallé aux Pays-Bas. Cela fait 18 ans que je travaille à l’hôpital de Dordrecht.

En tant qu’anesthésiste, êtes-vous auto-entrepreneur ou salarié ?
On est tous auto-entrepreneurs, sauf dans les universités. Le système aux Pays-Bas est comme ça. On paie un Goodwill quand on arrive – à l’époque cela s’élevait à 165 000 euros – ce qui empêche les médecins de partir partout. On a une sorte de salaire masqué sous forme de budgets globaux dans les hôpitaux. On est presque tous indépendants en étant dépendants de l’hôpital, on ne va pas jouer à côté. On peut résumer en disant que c’est un statut fiscal d’indépendant. 

En partageant sur Facebook des informations sur ce que vous savez de la situation aux Pays-Bas, vous êtes devenu un porte-parole pour la communauté francophone. Vous offrez un regard de l’intérieur, vous rassurez. Ce rôle est finalement arrivé assez spontanément…
Cela s’est en effet fait de fil en aiguille quand j’ai vu des Français très inquiets sur Facebook. J’ai lancé une première lettre en disant on va faire une mise au point, on va se calmer. J’ai eu pas mal de réactions positives et pas mal de réactions vindicatives. La semaine d’après, j’ai refait une autre lettre, aidé par Julia qui est française aussi et politiquement à l’opposé de moi. Nos lettres ont a été un gros succès ! Au bout d’un moment, il y a eu une unité sous ces posts, des discussions, ce n’était plus de la critique. Je ne suis que le rapporteur de faits scientifiques. 

La France a oublié une chose : payer ses médecins pour les faire rester dans l’hôpital public. Les médecins aux Pays-Bas sont parmi les mieux payés d’Europe.

A quoi ressemblent vos semaines en ce moment ?
On a des moments de réserve pour éviter qu’on tombe tous malades en même temps. On diminue l’exposition au risque. Et demain matin, j’y retourne. J’habite à 25 km de l’hôpital, j’y vais en vélo. Je suis debout à 5h et à 7h je suis au boulot. On fait les programmes d’urgence, en oncologie, obstétrique, vasculaire, tout ce qui doit être fait. Et pour les gardes de réanimation, on a coupé le groupe en deux. J’ai 56 ans donc je reste au bloc. Je ne suis plus sur le Coronona depuis la semaine dernière. Mais j’ai des patients Covid au bloc, de plus en plus, ceux qui doivent être opérés. C’est encore pire au niveau exposition au risque pour nous que les personnes en réanimation dans un lit, car il faut les transporter.

Il semble que la gestion des lits en réanimation ait été efficace mais que le pic de l’épidémie ne soit pas encore arrivé ?
Si, on pense que le pic est arrivé. Cela va peut-être encore augmenter pendant une semaine. Au début ils pensaient ici que les patients n’allaient rester que dix jours. S’ils avaient écouté les copains italiens, ils auraient su que ça durait trois ou quatre semaines. 

Votre sentiment général par rapport à la gestion de la crise aux Pays-Bas ?
Au début ça faisait un peu peur car on voyait les autres pays faire complètement autrement, sauf la Suède. Le RIVM, institut des maladies infectieuses, a des visions différentes des nôtres. On les connait pour avoir des enguelades de temps en temps avec eux ! Ils nous foutent un peu la trouille quand ils disent « vous n’avez pas de masques mais vous ne risquez rien ». On sait très bien que les masques en bloc, c’est utile. On a des flux laminaires tellement puissants. 

Est-ce que la situation a changé au niveau de la gestion ?
Non, on a pris l’habitude de travailler avec cet ennemi invisible. 

Quel regard portez-vous sur la situation en France ?
J’ai vu une amie proche à la télé, Elisabeth Gaernter à Colmar. Je l’ai appelée la pauvre, c’est le bordel là-bas. Une autre amie, professeure de la Chaire abdominale de Bobigny, m’a appelé en me disant quelle chance tu as chez toi.

Pourquoi « quelle chance » ?
Parce que la France a oublié une chose : payer ses médecins pour les faire rester dans l’hôpital public. Ici les médecins sont, avec Le Luxembourg et certains pays scandinaves, parmi les mieux payés en Europe. On ne bouge pas, on travaille, on ne regarde pas les horaires, on a des semaines de 60 heures. Mais on gagne bien notre vie, on a neuf semaines de congés par an, on est contents. 

La crise aurait-elle surgi ici dans un contexte plus apaisé et plus organisé que dans d’autres pays ?
Oui tout est au point techniquement. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de stress, pas de confrontations, mais ça c’est très vite réglé. On n’a pas trop apprécié le RIVM avec le coup des masques, mais je vois que pour les copains français, c’est encore pire. 

Le risque est surtout pour nous, on se prend le virus en pleine poire. Plus la dose est importante, plus on peut développer quelque chose de grave

Les masques, un élément indispensable pour faire face à cette pandémie…
Oui il nous faut des masques, même au bloc, des masques FFP2 ou 95 dès l’instant qu’on a des patients Covid prouvés, et pour tous ceux qui travaillent en unité COVID. Mais il faut voir qu’un masque normal filtre comme un FFP2. A part qu’il n’est pas étanche. On a des visières, on a pris des masques de plongée avec des filtres, donc on est bien équipés. 

La population doit-elle porter le masque ?
Oui je pense, dans les supermarchés. Moi j’habite en pleine nature donc quand je me balade sur le polder, je ne rencontre que des moutons, ça va. Au supermarché, c’est le truc qui bloque.

Votre regard personnel sur l’absence de confinement obligatoire ?
C’est aplatir la courbe pour gagner du temps pour voir si on a un traitement. C’est avoir la liberté d’aller dehors si on respecte les règles du jeu. J’ai toujours défendu le fait que ce soit une bonne idée. J’ai toujours réagi face à ceux qui prônaient le confinement comme en France, j’ai dit qu’on allait se planter si on faisait ça. Le RIVM peut être pénible par moment sur certains contrôles, mais ils sont très sérieux et je les suis à ce niveau.

Tout le monde sort un peu, beaucoup, passionnément. Pensez-vous que le fait de se déplacer, de se croiser, participe à l’effet saupoudrage ?
Ben oui mais c’est nécessaire. Le risque est surtout pour nous, car on se prend le virus en pleine poire. Or un gros taux de virus qui vous arrive dans le nez, ça c’est dangereux. Dans les années 80 à Marseille, je travaillais dans un centre de tuberculeux. Les profs à l’hôpital Nord nous disaient vous êtes en contact permanent avec des petites doses de bacille, donc vous serez protégés, vous aurez une immunité.

Il y a donc une proportion entre la dose de virus reçue et la gravité du Covid ?
Oui, il y a certainement une proportionnalité. Avec l’idée que plus la dose est importante, plus on peut développer des choses graves. Cela explique le fort taux de mortalité chez les personnels soignants. 12% de ceux qui attrapent le virus au travail en meurent.

L’idée de l’immunité collective a-t-elle rétrogradé ?
Non, on l’appelle autrement mais on n’a pas changé de schémas. On n’en parle pas trop car ça effraie. On essaie de limiter le contact, on voit pas mal de gens qui sont positifs et qui ne développent pas les symptômes, et des fois où ça se passe très mal. Ce matin je suis allé faire les courses. Je vois deux filles qui parlent ensemble et au bout d’un quart d’heure, je leur dis que ce n’est pas très prudent. Elles me répondent : « on est déjà positives, on l’a eu donc on ne peut pas se le transmettre, mais merci beaucoup vous avez raison ».

Avez-vous un message à passer à vos followers ?
Bien suivre les consignes, personne ne prend rien à la légère ici, on ne fait pas de la médecine au rabais, on n’assassine pas les patients. On s’occupe très bien des gens. Profitons de pouvoir encore un peu sortir. Il faut se laver les mains, respecter la distance et nettoyer ses courses comme il faut. Il faut les désinfecter. Avec une lingerie et de l’alcool on nettoie tout, on attend que ça sèche, et on range. 

Qu’est-ce qui vous manque aujourd’hui ?
Aller aux concerts et au cinéma. J’ai un enfant birman adopté, qui est autiste asperger. Il n’aime pas trop sortir, donc c’est bien en ce moment. Alors je fais un peu de piano quand j’ai le temps.

Interview recueillie par Anne Leray