(source acteurspublics.com)

Jan Anne Annema, professeur en analyse des politiques de transport à l’université de technologie, politique et de management de Delft (Pays-Bas), signe une tribune sur la méthode d’évaluation économique des projets d’infrastructures. Trois principes dominent : efficacité, légitimité et efficience.

Aux Pays-Bas, depuis l’an 2000, il n’est plus possible de construire une infrastructure d’envergure sans avoir mené au préalable une évaluation socio-économique rigoureuse. Dès 1998, les ministères néerlandais des Transports, des Travaux publics, de la Gestion de l’eau et des Affaires économiques décidèrent de concert de réaliser un état des lieux de la connaissance des effets économiques des infrastructures. Constatant que jusque-là, l’évaluation économique des grands projets avait été menée selon les méthodes les plus diverses et fort éloignées des méthodes scientifiques, ils lancèrent un programme de recherche sur les méthodes d’évaluation économique, intitulé en néerlandais “OEEI*”. La décision d’arriver coûte que coûte à un accord sur la méthode constitua une étape clé du programme OEEI. Plusieurs approches furent étudiées, dont l’approche multicritères, mais devant ses défauts multiples, une seule fut retenue : l’analyse coûts-bénéfices, dotée d’une méthodologie définie dans le rapport final.

Efficacité, légitimité, efficience

En clair, aux Pays-Bas, tout dossier d’infrastructure doit répondre à trois questions autour du projet : son efficacité, sa légitimité et son efficience. Efficacité selon trois axes : le projet répond-il aux besoins et aux problèmes soulevés ? S’inscrit-il dans la politique nationale de développement économique ? Contribue-t-il au développement régional ? Légitimité : la construction d’une infrastructure par l’État est-elle la meilleure solution pour répondre au problème ? Efficience enfin : le bilan coûts-avantages est-il positif ? C’est sur cette dernière question que les progrès de la gouvernance néerlandaise issue des travaux de 1998 furent les plus significatifs. La méthode préconisée est celle de l’analyse classique coûts-bénéfices devant permettre de sortir un ratio, un chiffre synthétique résumant l’intérêt du projet. En clair, s’il est supérieur à 1, les bénéfices attendus sont supérieurs à son coût, et inversement s’il est inférieur à 1. Sachant que le rapport final de l’OEEI reconnaît qu’il n’est ni possible ni souhaitable de résumer un grand projet à une valeur unique. Aussi est-il coutumier de signaler, dans chaque document final de l’évaluation menée, les effets qui ne peuvent être présentés en termes monétaires, tels que les effets environnementaux et les effets sur le paysage. Et de les présenter à part, pour que les responsables politiques n’oublient pas, au moment de prendre leurs décisions, d’en tenir compte.

110 évaluations en treize ans

Entre 2000 et 2004, 13 projets nationaux d’infrastructures d’envergure, ferroviaires et portuaires pour l’essentiel, ont fait l’objet d’une évaluation conforme à la méthode préconisée par le rapport de l’OEEI. Depuis 2008, elle est aussi obligatoire pour les projets plus petits. Au total, depuis l’an 2000, on estime qu’environ 110 évaluations socio-économiques ont été menées, y compris sur des politiques tarifaires. Certaines évaluations ont été radicales. En témoigne celle menée en 2003 sur le projet de train à grande vitesse reliant Amsterdam à Groningen. L’objectif affiché de ce projet à plusieurs milliards d’euros était d’améliorer l’accès au nord des Pays-Bas, région qui souffre d’un faible développement économique ainsi que d’un taux de chômage élevé, et dont Groningen est une des villes principales. Plusieurs projets concurrents furent évalués : un train à grande vitesse classique et un train à lévitation magnétique, de type MagLev. Avec un écart d’investissement très large, allant de 3,5 à 8 milliards d’euros (prix de 2003). La question posée était celle de l’efficience attendue du projet : en d’autres termes, les bénéfices sociaux attendus du projet seraient-ils supérieurs à son coût global ? Étude faite, il s’avéra que le projet de train à très grande vitesse avait pour bénéfice principal le gain de temps de déplacement, mais une amélioration seulement modeste du marché du travail. Tandis qu’il présentait deux inconvénients majeurs : un investissement initial comme un coût de maintenance très élevés, sans oublier l’impact négatif sur le paysage. Même si on ne sait encore évaluer financièrement l’impact négatif sur le paysage, ni en termes de consentement à payer du citoyen pour éviter ce désagrément, ni en termes de capacité de la population à supporter ses inconvénients.

Pas de train à grande vitesse

Quoi qu’il en soit, l’évaluation, menée selon des scénarios les plus variés, conclut à la faible efficience du projet. Même avec les projections les plus optimistes en termes de demande future de voyage ferroviaire vers le nord du pays, le ratio bénéfices sur coûts était, dans tous les scénarios, toujours inférieur à 1. Devant l’évidence du très faible bénéfice du projet et devant l’incapacité à atteindre les objectifs politiques de développement économique du nord et de son marché de l’emploi, la décision politique fut prise de ne pas mener à bien le projet de train à grande vitesse entre Amsterdam et Groningen. L’évaluation joua ainsi un rôle clé dans le processus de décision de la construction d’un grand projet d’infrastructure. Bien sûr, ce ne fut pas toujours le cas, car au fond, elle ne remplace pas la décision politique, elle vient surtout la soutenir ou l’éclairer.

Faible transparence

D’ailleurs, l’exercice de cette évaluation a déjà gagné en maturité. Les expériences menées ont nourri de nombreux débats sur les forces et faiblesses de la méthode. Parmi ces dernières, une évaluation très dépendante des hypothèses retenues, l’incertitude qui entoure tout de même les résultats, la prise en compte très partielle des effets indirects de ces infrastructures, en particulier les effets de réorganisation des territoires et de redistribution des revenus, enfin la faible transparence sur les calculs de ceux qui prennent les décisions et qui, le plus souvent, ne sont pas des économistes. Il n’empêche que ces débats ont nourri de nombreuses réflexions sur la manière la plus efficace de corriger ses points faibles. Dès 2004, le guide méthodologique a été amélioré. Car l’évaluation est un mécanisme qui ouvre une dynamique de correction permanente : une démarche d’actualisation est aujourd’hui en cours. Toute la communauté des experts qui travaillent à ces évaluations, à savoir les consultants, les instituts publics de recherche, les universitaires et les responsables politiques, cherchent ensemble à en améliorer la qualité. Au point que c’est aujourd’hui une méthode éprouvée et reconnue comme nécessaire dans le pays et qui, chacun en est convaincu, continuera à jouer un rôle clé dans la politique des transports.