Article de Céline L’Hostis (Ancienne directrice adjointe de l’Institut français de Groningue (Pays-Bas) pour LE MONDE ECONOMIE

Les Pays-Bas sont le pays d’Europe où, en incluant ces temps partiels, les habitants travaillent le moins en termes de volume horaire : 1 357 heures par an, ce qui équivaut à une semaine moyenne de… 30 heures (Photo: champ de tulipes près d’Oude Niedorp, aux Pays-Bas).

Les nouvelles mesures économiques annoncées par le gouvernement Valls marquent une nouvelle charge contre les 35 heures. Véritable totem, le temps de travail légal français est accusé de nuire à la compétitivité en augmentant le coût du travail. Pour autant, plusieurs pays proposent un autre modèle, à l’instar des Pays-Bas, où la semaine de travail moyenne est bien plus courte que dans l’Hexagone.
Les salariés français travaillent-ils vraiment moins que leurs homologues européens ? La réponse dépend de la lecture adoptée. S’il est vrai que la durée française de travail à temps complet se situe parmi les plus basses d’Europe, avec 1 661 heures annuelles, elle est en revanche dans la moyenne européenne si l’on prend en compte l’ensemble des contrats, incluant les temps partiels : 1 536 heures annuellement travaillées, selon l’institut Coe-Rexecode.
Les Pays-Bas sont le pays d’Europe où, en incluant ces temps partiels, les habitants travaillent le moins en termes de volume horaire : 1 357 heures par an, ce qui équivaut à une semaine moyenne de… 30 heures !
Temps partiel et flexibilité
Le temps partiel est particulièrement répandu aux Pays-Bas, où il concerne 50,4 % des employés contre 18,9 % en France. Beaucoup travaillent aux 4/5e. Depuis 2000, une loi donne même aux citoyens le droit de demander un temps partiel. Ce type de contrat est en effet mieux considéré : loin de ne concerner que les emplois précaires, il est appliqué jusqu’aux plus hauts niveaux de la hiérarchie. Il n’est pas rare de voir le directeur d’un département universitaire ou la responsable financière d’une entreprise ne pas travailler une journée par semaine.
A ce temps partiel s’ajoute une grande flexibilité du contrat de travail. Si la durée de travail maximum est de 45 heures hebdomadaires et de 10 heures quotidiennes, il est possible, dans ce cadre, d’adapter son temps de travail en fonction de ses diverses obligations : concentrer un temps plein (environ 40 heures) sur quatre jours, adapter son temps partiel sur l’ensemble de la semaine, fixer des horaires de travail spécifiques, voire travailler depuis chez soi.
Ce temps de travail salarié moyen de 30 heures permet de dégager du temps pour exercer d’autres activités favorisant le développement personnel : vie familiale, sociale, volontariat et formation. Les cours du soir notamment connaissent un succès considérable auprès des Néerlandais qui continuent à se former tout au long de leur vie. Quant au volontariat, près de la moitié de la population s’y consacre à hauteur de quatre à cinq heures hebdomadaires.
Etre utile pour la société et favoriser son développement personnel, telles sont les motivations principales pour travailler en dehors du cadre salarié, selon Els van Schijndel, de l’Agence des volontaires d’Amsterdam (VCA). Au-delà de l’emploi, le travail permet d’être intégré socialement, de trouver sa place et son rôle dans une société qui valorise l’activité. La réduction du temps de travail et le développement d’activités non salariées participent du partage du travail et d’une réduction de l’exclusion sociale.
Volontariat
Le pays, pourtant considéré comme très libéral, mise largement sur les atouts de ces activités non salariées. Le temps libre gagné laisse en outre la possibilité de développer d’autres activités comme l’autoentreprenariat, le travail indépendant ou les engagements associatifs.
Ces heures travaillées permettent, d’après Michaëla Merkus, chargée d’étude chez Movisie, organisme néerlandais de recherche sur le volontariat, d’assurer dans un monde capitaliste de nombreuses activités essentielles non rentables qui reposaient traditionnellement sur la collectivité. Elles offrent la possibilité de reproduire des solidarités locales en recréant du lien social et de la proximité.
Le volontariat, traditionnellement très institutionnalisé aux Pays-Bas, permet de renforcer certaines missions de l’Etat. Il est essentiel au bon fonctionnement de la société néerlandaise, dont l’indice de développement humain (IDH), qui prend en compte le niveau de richesse, de santé et d’éducation, la place au 5e rang mondial en 2014, quand la France n’en occupe que le 22e.
Néanmoins, la crise économique a dévoyé la démarche initiale de réduction du temps de travail. La difficulté à s’insérer sur le marché de l’emploi incite de nombreux jeunes à effectuer du volontariat pour enrichir leur CV et accroître leur employabilité. L’Etat lui-même, dans un contexte d’austérité budgétaire, se désengage d’un nombre croissant d’activités, notamment dans le secteur de la santé, de l’éducation ou de la culture, que des bénévoles doivent donc reprendre.
Angle qualitatif plutôt que quantitatif
L’exemple néerlandais invite à s’interroger sur la pertinence de faire du temps de travail la cause des maux de l’économie française. En atténuant la frontière entre emploi et travail, les Pays-Bas repensent la notion même d’activité, sans pour autant basculer dans une société « ubérisée ».
En choisissant un angle qualitatif plutôt que quantitatif, ils offrent ainsi un regard plus raisonné sur le travail. A l’heure où les risques socioprofessionnels deviennent un sujet majeur et où les burn-out se multiplient, il semble nécessaire de se pencher sur la qualité de vie au travail au-delà de sa simple durée. La question est également de partager le travail et les richesses avec l’ensemble des actifs. La France comptait ainsi, au dernier trimestre 2015, 10,1 % de demandeurs d’emploi, contre 6,8 % aux Pays-Bas.
Après avoir très largement contribué à l’émergence du capitalisme, notamment en créant en 1602 la première multinationale, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, les Néerlandais seraient-ils en train d’inventer une nouvelle relation au travail éloignée de celle développée par l’Allemagne et ses travailleurs pauvres ? Certaines initiatives semblent l’indiquer, comme l’expérimentation à Utrecht depuis janvier 2016 d’un revenu minimum universel sur un groupe de 300 citoyens au chômage.

Céline L’Hostis (Ancienne directrice adjointe de l’Institut français de Groningue (Pays-Bas)

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