Article rédigé par Tanguy LE BRETON
Président de l’Association Français des Pays-Bas
Tel +31 648912280

Vu de France, les Pays-Bas sont un pays difficile à comprendre. Le pays semble combiner des politiques plus sociales et libérales qu’en France. A y regarder de plus près, ce « en même temps » néerlandais peut apparaître comme un miracle : dans de nombreux domaines, les réalisations dépassent les projets de la plupart des responsables politiques français : une société plus collectiviste, des politiques ultralibérales sur le plan personnel, économique et sociétal, un Etat de droit exemplaire et une population qui semble satisfaite.


Je ne souhaite pas dresser un tableau flatteur des Pays-Bas. Je n’ignore pas les difficultés très importantes qui se sont fait sentir ces dernières années à force de restrictions budgétaires. Les mécontentements se font sentir depuis plusieurs années dans des secteurs tels que l’éducation, la santé, la politique pour la jeunesse, et on voit maintenant des Néerlandais SDF qui dorment dehors dans certaines grandes villes (ce qui est inquiétant). Cette perception « sensible » de la dégradation réelle de la situation sociale aux Pays-Bas ne doit pas occulter le niveau du pays en matière de politique sociale (les autres pays subissent ces dégradations également). Les Néerlandais regardent les choses en face, et la coalition au pouvoir a commencer à redistribuer les excédents budgétaires de ces dernières années (11 Milliard EUR en 2018) pour corriger les effets des carences budgétaires passées.

Avant-propos

Il est possible que ce que j’écris ci-dessous apparaitra étonnant pour certains. J’en suis conscient et c’est pourquoi j’apporte quelques avertissements :
• Cet article est mon opinion et n’engage que moi.
• Notre culture personnelle est comme un filtre qui trouble notre vision : « Nous ne voyons pas les choses telles qu’elles sont, mais telles que nous sommes / Anais NIN ».
• Toutes les cultures se valent. J’aime autant – et passionnément – la France et les Pays-Bas, les Français et les Néerlandais.
• « Comparaison ne vaut pas raison ». Les Pays-Bas et la France, pour toutes sortes de raisons ne peuvent pas être comparés. Mais on peut s’inspirer mutuellement de nos bonnes pratiques respectives.
Pour tout ce qui concerne ces aspects purement interculturels, je vous invite à lire le Dossier « Les Néerlandais et leur culture, valeurs et normes »

Une société plus collectiviste (inclusive, égalitaire et solidaire)

Inclusive : l’attachement au groupe
C’est une des principales valeurs néerlandaises : la nécessité de se conformer à l’intérêt du groupe, d’être social, de participer. Les individus sont formatés dès le plus jeune âge, en famille et à l’école, à une normalité inclusive. « Doe maar normaal, dan doe je al gek genoeg … » (comportes-toi de façon normale, c’est déjà assez fou).

Egalitaire : une classe moyenne « XL »

La valeur « égalité » l’emporte sur celle de la « liberté ». La population néerlandaise est moins inégalitaire, sa classe moyenne étant plus large qu’en France.

    Tableau de répartition de la distribution relative des niveaux de vie en 2016 dans les pays de l’Union européenne – rapport interquintile des masses de niveau de vie (100-S80)/S20 : ratio entre le revenu moyen perçu par les 20% des individus ayant les revenus les plus importants et le revenu moyen des 20% ayant les revenus les moins importants. Chiffres : Pays-Bas 4 (6ème place en EU) / France 4,3 (12ème place en EU) / Moyenne EU 5,1 – Voir le tableu sur le site de l’INSEE

Solidaire : un consentement à de fortes impositions
• Taux de TVA principal plus élevé : 21%
• Imposition importante sur les revenus (la tranche supérieure est à 50%)
• Imposition généralisée sur le patrimoine à partir de 30.000 EUR (hors résidence principale)
• Une forte imposition sur les successions

    L’AOW (Algemene Ouderdomswet) offre un exemple de réalisation collectiviste aux Pays-Bas. Le système de retraite de base néerlandais offre une pension de vieillesse universelle : elle est unique et est versée sans condition de carrière ni de ressources ni de patrimoine ; elle ne dépend que du nombre d’années d’assurance sociale aux Pays-Bas. Mon beau-père a travaillé toute sa vie. Ma belle-mère s’est occupée du foyer et de la famille et n’a jamais reçu de rémunération pour un travail. Chacun perçoit exactement le même montant de retraite de base : 911 EUR bruts par mois.

Des politiques plus libérales (responsabilité individuelle, sens de l’entreprise, progressisme)

Le mot libéral a ici plusieurs sens : moral, économique et sociétal.

Responsabilité individuelle et participation
L’individu a un rôle clé dans le succès du modèle néerlandais. Il doit être actif (rémunéré ou bénévole), subvenir à ses besoins sur le plan financier, et être responsable de ses actes. Tout est fait pour aider l’individu à se développer, et à garder sa mobilité et son autonomie. Le système est au service de chacun. Lorsqu’on a besoin d’aide, il faut d’abord penser à résoudre soi-même le problème et solliciter ses proches avant de solliciter la puissance publique (exemple dans la santé : mantelzorg). On demande également à l’individu de participer activement aux intérêts du groupe. Il existe aux Pays-Bas toutes sortes de services mis à disposition de chacun pour contribuer à aider les pouvoirs publics : émissions de TV pour aider la police ou services faisant appel aux citoyens pour améliorer une situation (évaluations, enquêtes, alertes, réseaux contributifs).

Sens de l’entreprise : primauté de l’économie et de la valeur « argent »
Historiquement, c’est à Amsterdam qu’a été créée la première entreprise internationale et la première bourse (17ème siècle). L’argent est une « valeur » de référence dans les discussions et qui est respectée. L’individu et le groupe se doivent d’être économes. Les Néerlandais sont des entrepreneurs nés. En même-temps que l’on formate les enfants à une forte soumission au groupe (inclusion), tout est fait pour les encourager à se développer librement et individuellement pour entreprendre par eux-mêmes.

Progressisme : en avance – et pragmatique – sur les questions de société
Les questions de sociétés sont, en général, débattues et traitées aux Pays-Bas environ une génération en avance par rapport à la France (+/- 25 ans) : droits de vote des femmes, abolition de la peine de mort, droit de vote des étrangers aux élections municipales, encadrement et contrôle de l’économie de la droque et de la prostitution, accompagnement en fin de vie, mariage homosexuel, etc. Baruch SPINOZA (17ème siècle) a théorisé le pragmatisme politique en ce domaine : « Ce qu’on ne peut interdire, il faut nécessairement le permettre. »

Quelques illustrations du caractère libéral de la société néerlandaise
• L’éducation est largement privatisée : 66% des écoles sont libres et/ou confessionnelles
• Le financement d’une partie de la santé est privatisé (les assureurs sont des entreprises)
• Des pouvoirs publics plus réduits, optimisés et efficaces ; l’administration délègue une partie de ses missions à des entreprises ; un citoyen usager des services publics est considéré comme un client qu’il faut servir et satisfaire

Un Etat de droit exemplaire (efficace, protecteur et démocratique)

Aux Pays-Bas, chacun semble pouvoir avoir sa place. L’exclusion est un problème qui est traité avec la plus grande attention. Les pouvoirs publics garantissent à chacun non seulement des droits, mais aussi une qualité de services et une efficacité des actions engagées pour lui.
Si l’on doit évaluer un Etat de droit à sa capacité à protéger les plus faibles et à répondre aux besoins des groupes « hors normes » (les minorités au sens large), alors les Pays-Bas offrent un exemple.

Efficacité : une puissance publique respectée
La puissance publique néerlandaise est un modèle d’organisation dont la finalité est d’être au service de chacun tout en étant le plus efficace possible. Elle est optimisée grâce à une nécessaire coopération de toutes les institutions, orientées vers ce même objectif (Etat, provinces, communes et acteurs économiques).

Protecteur : reconnaissance et satisfaction des minorités
Aux Pays-Bas, l’Etat et la puissance publique ont mis en place des politiques d’avant-garde et des solutions originales pour répondre aux besoins spécifiques des minorités : les jeunes mamans (kraamzorg), les victimes (accès simple et rapide à la justice), les personnes âgées (AOW), les handicapés (WMO Wet maatschappelijke ondersteuning, prise en charge de l’autisme, scoutmobile), les sans-abris (hébergement), l’orientation sexuelle (politique du genre neutre), les étrangers (droit de vote aux municipales), les réfugiés en situation régulière et irrégulière (centre d’asile et d’hébergement), les prisonniers (conditions de détention), etc.

Démocratique : un parlement représentatif et un gouvernement réellement majoritaire
Les élections à la proportionnelle et le panachage (choix préférentiel dans une liste) offre une représentation fidèle de l’expression politique des citoyens. Les petits partis (pour les animaux, turcs, +50) peuvent ainsi obtenir des députés. La proportionnelle oblige également le gouvernement a obtenir un soutien majoritaire d’au moins 50% des votants (au contraire de la France où le gouvernement et la majorité écrasante de l’assemblée nationale ne s’appuient que sur une majorité relative d’environ 25% des votants).

Une population qui semble satisfaite (bien-être, confiance et optimisme)

Bien-être : une condition nécessaire du vivre-ensemble
C’est une des choses que l’on remarque quand on vient aux Pays-Bas. Les gens semblent plus détendus, il y a moins de hiérarchie ou de distance avec les autres. L’ambiance semble plus apaisée. Le mode de vie y est pour quelque chose. Les Néerlandais font partie en Europe de ceux qui dorment le plus et travaillent le moins. La connaissance – et donc le respect – de son propre corps (et de ses intelligences mentale, émotionnelle et instinctive) y est également plus développée.

    Les Pays-Bas à l’honneur dans le « Good Country Index ». Les Pays-Bas en tête des pays qui œuvrent pour le bien de l’humanité. Ce classement évalue les pays non pas en fonction de leur richesse, mais de leur contribution au « bien commun ». Ce baromètre créé en 2014 a été pensé par le célèbre conseiller britannique Simon Anholt. Il compile 35 jeux de données émanant de l’ONU et de plusieurs ONG dans de nombreuses catégories. Les informations sont organisées selon sept vastes thèmes : la science et la technologie, la culture, la paix et la sécurité internationale, l’ordre mondial, la planète et le climat, la prospérité et l’égalité, la santé et le bien-être. En savoir plus …

Confiance et optimisme
Les Pays-Bas restent un pays où l’on a – malgré les difficultés qu’on n’ignore pas – confiance dans le système d’organisation et où l’on reste optimiste pour l’avenir. Baruch SPINOZA (17ème siècle) : « Si vous voulez que la vie vous sourit, apportez-lui d’abord votre bonne humeur ». Yohan CRUIJF : « Elk nadeel heeft zijn voordeel » (tout inconvénient a son avantage)

    Les jeunes néerlandais (11-16 ans) sont toujours parmi les plus heureux du monde. Les jeunes néerlandais sont toujours parmi les plus heureux du monde et sont satisfaits de leurs relations sociales. Mais des tendances négatives se développent pour la classe d’âge 11-16 ans : la charge de travail à l’école, l’utilisation moins fréquente de préservatifs, et la consommation trop importante d’alcool. C’est ce qui ressort d’une nouvelle enquête réalisée – tous les 4 ans – conjointement par l’université d’Utrecht, le Trimbos Instituut et le Sociaal en Cultureel Planbureau. Lire le rapport HBSC-onderzoek (NL)

Article rédigé par Tanguy LE BRETON

Président de l’Association Français des Pays-Bas
Tel +31 648912280