L’ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L’ÉTRANGER À LA CROISÉE DES CHEMINS
Par Louis DUVERNOIS, sénateur des Français établis hors de France, rapporteur de l’Action extérieure de l’État

L’Agence pour l’Enseignement Français à l’étranger (AEFE) vient de se doter d’un nouveau Plan d’Orientation Stratégique (POS), pour la période 2014-2017, fruit d’une concertation menée auprès des acteurs et partenaires du réseau mondialisé.

Ces orientations s’inscrivent dans un « texte de cadrage » des moyens prévus par les lois de Finances et de l’objectif fixé par le Premier ministre à l’ensemble des opérateurs de l’État, de leur contribution au redressement des comptes publics.
Le POS propose 111 « Actions » classifiées sous 3 grands chapitres : Relever les nouveaux défis, Construire ensemble et Dessiner l’avenir : Le réseau fait face à de nombreux défis. Dans un contexte marqué par une concurrence qui s’accroît et une exigence de plus en plus affirmée des familles, françaises et étrangères, les établissements scolaires doivent consolider l’excellence de leur offre éducative pour conforter leur attractivité.
Ce POS est certainement vertueux par l’énoncé d’ « Actions » articulées autour de l’excellence éducative du réseau homologué, de la réussite de tous les élèves, de l’orientation scolaire renforcée et du parcours de formation pour chaque élève, avec, au final, la nécessité d’aller plus loin avec le numérique. Qui pourrait s’opposer à cette problématique?
Mais qu’en est-il d’une réflexion concrète, tout juste esquissée dans cette longue énumération, sur le devenir du modèle économique de développement de l’AEFE. L’occasion était propice dans ce « texte de cadrage » d’aborder la question stratégique portant sur les fonctionnalités d’un réseau menacé par l‘accélération du déficit budgétaire de l’État non maîtrisé faute de réformes structurelles qui se font encore attendre dans la réorganisation de la dépense publique.
Un POS novateur, courageux, ne pouvait tenir compte que des acteurs liés par intérêt à la puissance publique dès lors que le langage employé de « concurrence », « d’attractivité », de « flexibilité dans la gouvernance » n’est pas vraiment celui de la techno-structure gestionnaire. C’est mal connaître le monde des affaires, et celui des sociétés multinationales au capital internationalisé, que d’envisager la création de fondations, ou de structures locales dédiées au portage de projets immobiliers, comme à Londres avec la « French Education Property Trust », un exemple d’ailleurs remarquable et exceptionnel, apporteur de compléments financiers. Le parcours malaisé rencontré après la création de l’Institut français dans la recherche de fonds privés témoigne d’un exercice professionnel long et méthodique qui mérite cependant d’être entrepris.
Avec l’art consommé de dire sans fâcher quiconque le POS se veut explicite si l’on peut dire! Il est conçu comme un document opérationnel permettant une évaluation de la mise en œuvre de ses objectifs à l’aide d’indicateurs!!! Ce POS évite le sujet principal : l’étude d’un projet éducatif renouvelé sous tous les aspects gestionnaires, financiers, monétaires et sociaux. Ce qu’on appelle l’ingénierie dans une entreprise, et l’AEFE en est une aussi avec des entrées et sorties de fonds à comptabiliser dans un environnement compétitif, diversifié et multinational.
En début d’année alors que le POS était en cours d’élaboration j’avais saisi l’AEFE sur la diversité d’un réseau qui ne peut être difficilement administré comme une académie traditionnelle imbriquée dans une structure ministérielle centralisée à Paris, lourde, rigide et souvent rétive au changement. La puissance publique se trouve maintenant murée dans une décroissance financière portée par la très mauvaise conjoncture nationale que traverse la France. Le budget de l’AEFE est en baisse de 8 millions d’euros en 2014. Le réseau est de moins en moins financé par l’État, -3% pour l’exercice en cours.
L’accès à la conscience historique de l’enseignement français à l’étranger, à une offre éducative universelle, singulière et exceptionnelle au XXIe siècle, passent donc d’abord par la nécessité de porter un regard analytique sur les ressources propres d’un réseau en croissance, financé par les parents d’élèves, premiers contributeurs et de loin devant l’État.
Aucune évolution indispensable, à défaut d’actes lucides, compétents, courageux et partagés, ne remédiera à cette prise de conscience qu’aurait dû traduire concrètement un POS salvateur.
Tôt ou tard, et toujours repoussée aux calendes grecques, nous serons dans l’obligation de nous interroger sérieusement sur le financement -nerf de la guerre- d’un réseau bicéphale déséquilibré dans ses relations entre l’État et des parents d’élèves qui ne comprennent plus nos atermoiements; sur les conditions d’exercice des personnels statutaires, expatriés, résidents et recrutés locaux; sur l’éternelle et lancinante question du baccalauréat français, du baccalauréat à option internationale et du baccalauréat dit de Genève conçu d’ailleurs par des pédagogues français et en progression partout faute d’avoir voulu faire ou su faire la promotion de notre bac, un très bon bac, en recourant à des « méthodes marketing » ignorées de l’Éducation nationale…
Quelques observations probantes :
– Besoins en financements nouveaux. Nous avons à résoudre au plus vite une équation complexe, a reconnu avec franchise en janvier dernier la directrice de l’AEFE, Hélène Farnaud-Defromont, auditionnée par la commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication à laquelle je suis membre au sénat, en réponse à mes questions. Une conférence va être organisée prochainement avec les services de Bercy pour déterminer les moyens budgétaires à mobiliser sur le triennat à venir (…) Nous devons nous-mêmes être réactifs pour trouver sur le terrain des solutions adaptées à chaque établissement. Nous verrons aux résultats à venir. Les concertations ministérielles désormais actées et réunissant les différents acteurs publics de l’enseignement français à l’étranger, incluant naturellement l’Éducation nationale, ne sont-elles pas également l’occasion d’ouvrir un dialogue éclairé et constructif sur cette « réingiénierie » du pilotage du réseau et des réformes structurelles à apporter au redressement des comptes publics débouchant sur une véritable mutualisation des contributions publiques, bien au-delà de l’énoncé de vague « formule-recette », du « faire mieux avec moins » pour se donner bonne conscience!
– Est-il utile de rappeler que les ressources propres de l’Agence proviennent essentiellement de la participation du réseau à la rémunération des enseignants résidents; du remboursement d’heures supplémentaires et des indemnités de jury d’examen; de la contribution de 6% assise sur des frais de scolarité pour financer les pensions de retraite des enseignants titulaires puisque leur employeur, l’État, se défausse sur les établissements pour fuir une obligation légale…
– Affectation des ressources humaines et financières. Le plafond d’emplois de l’AEFE est stabilisé, en 2014, par rapport à l’année précédente, à 6 353 emplois. Par contre, les emplois hors plafond à coût complet, c’est-à-dire remboursés à l’Agence intégralement sur les ressources propres des établissements progressent de 100 ETP (Équivalent à Temps Plein), pour atteindre 4 661 et pouvoir répondre chaque année à l’augmentation régulière du nombre d’élèves. Aux administrateurs civils qui méconnaîtraient le langage des affaires, l’AEFE fait face à une croissance des inscriptions, un développement que l’établissement public sous tutelle du ministère des Affaires étrangères (représentant 1% et quelques virgules décimales du budget de l’État), n’est plus en mesure d’accompagner.
– Avec des frais de scolarité toujours plus élevés, une réforme du mode de calcul des bourses scolaires augmentant le volume des boursiers et entraînant une diminution des quotités attribuées, le gouvernement a demandé un rapport d’enquête à deux élus du parlement (et de la Majorité gouvernementale), pour identifier des mesures visant à limiter ces hausses exponentielles. Cette enquête, reportée de six mois, est maintenant attendue pour la fin de l’année. Ces travaux parlementaires se déroulent dans une opacité totale pour ne pas, dit-on, polluer les débats. Vive la démocratie!
– Menaces sur la cohérence du réseau. L’AEFE accueille dans 488 établissements partenaires plus de 320 000 élèves dont un tiers seulement sont français. Le réseau est ainsi largement financé par l’inscription d’élèves étrangers. L’appel à la grève, en janvier, par des fédérations syndicales françaises alors que l’AEFE procédait aux derniers réglages de préparation du POS, a été incompris par des parents d’élèves dans des établissements de droit local dirigés par des conseils de gestion souverains, et soumis à la seule exigence de l’homologation du cursus enseigné, accordée par le ministère de l’Éducation nationale, juge en la matière.
– L’incompréhension des causes de cette grève réclamant que le budget de l’AEFE soit en adéquation avec ses ambitions, ce que les grévistes n’obtiendront jamais, soyons réalistes, à moins bien sûr de ponctionner encore davantage des familles par ailleurs contributrices de l’indemnité sur la vie locale versée aux agents titulaires! Se posent d’autre part des interrogations sur la procédure administrative de nomination des enseignants à l’étranger souvent perçue et je le constate dans mes déplacements comme une pratique de l’ « entre-soi » -ministère/syndicats- en inadéquation avec les besoins locaux exprimés par les conseils d’administration d’établissements homologués et conventionnés. Le déconventionnement est un réel danger pour l’AEFE. C’est déjà arrivé. Veillons à ce qu’un « détricotage » du réseau ne s’étende.
– S’ajoute à cette situation la difficulté pour l’État à recruter de nouveaux professeurs. Les derniers résultats du Capes, où plus de 10% des postes n’ont pas été pourvus, contredisent l’optimisme du ministre de l’Éducation nationale démissionnaire. Il existe bel et bien une crise de recrutement du métier d’enseignant. A la session 2014, 33% des postes ouverts au Capes de maths n’ont pas trouvé preneur, contre 31% l’année précédente. Dans certaines grosses académies, comme Versailles, touchées par cette crise, la recherche de contractuels de substitution est un vrai défi. Cette raréfaction de candidats agira sur les nominations de titulaires des académies autorisant les détachements à l’étranger.
– L’ère du numérique et de nouvelles offres éducatives. Sait-on que quelque 250 000 jeunes français sont scolarisés dans des établissements locaux. Hors réseaux homologués plus de deux élèves français sur trois ne suivent pas l’enseignement français à l’étranger. Le Centre National d’Enseignement à Distance (CNED), établissement public présidé par le secrétaire général du Groupe LVMH, et dirigé par un ancien de la Caisse des Dépôts et Consignations, a peut-être perdu son statut administratif de rectorat mais a gagné en efficacité.
– Le CNED, sous tutelle de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, a mis au point, en accord avec la tutelle ministérielle de l’AEFE, une modalité de scolarisation alternative fondée sur le principe de l’hybridation et, le cas échéant, du bilinguisme. L’enseignement en ligne de trois matières principales (français, maths et histoire-géo) complète l’enseignement local et prépare les élèves inscrits dans des établissements non homologués à une poursuite d’études dans le système français.
– Sans cette hybridation nous courons le risque que des multinationales comme Google, Amazon, etc. prennent des parts de marché auprès de familles françaises, et notamment de jeunes couples qui s’installent en grand nombre à l’étranger. Le nouveau projet éducatif d’enseignement à distance s’adresse à une clientèle très large. Il n’est pas exclu que des entreprises privées, à l’exemple des écoles privées, offrent un jour et à leur tour des prestations de service similaires à des prix compétitifs.
– Avec cet accord AEFE/CNED, ce dernier dénommé dans le POS par un lapsus révélateur « Centre National d’Études à Distance », au lieu d’Enseignement, la recherche d’une coordination et de synergies auprès des différents acteurs concernés, doit être à l’évidence améliorée. J’ai pu m’en rendre compte lors de mon stage effectué en mars au CNED. Il conviendrait que le ministère des Affaires étrangères et du Développement international, semble-t-il favorable à cette évolution, donne le ton et prenne une part plus active à l’orientation stratégique du CNED, en exerçant pleinement ses prérogatives ministérielles au sein du conseil d’administration d’un établissement public de conquête pour une politique de conquête. Écoles et universités sont désormais concurrencées par des plates-formes éducatives spécialisées, 7 jours sur 7, 24h sur 24. L’heure n’est plus au chacun pour soi.
– Le POS prévoit enfin d’accompagner des dispositifs éducatifs complémentaires, « LabelFrancÉducation » et « Français Langue Maternelle » (FLAM), qui rencontrent intérêt et succès auprès des familles et établissements bilingues non homologués visés. Je rappelle que le sénat, sur ma proposition, a organisé en novembre 2012 la « Première Rencontre Internationale de l’Enseignement Bilingue Francophone », avec l’appui du ministère des Affaires étrangères et du Développement international, de l’AEFE, de l’Institut français et du Centre d’Études Pédagogiques de Sèvres (CIEP). Une deuxième Rencontre est envisagée. Ces nouveaux dispositifs éducatifs à renforcer ne remplacent pas l’offre éducative proposée dans nos établissements homologués. Veillons cependant à ce que ces offres alternatives n’évoluent pas vers une coopération éducative de substitution.
– ET COMME LE DIT LE POS, EMPLOYONS-NOUS MAINTENANT À « DESSINER L’AVENIR »! Les êtres, les idées, les capitaux et les marchandises circulent de plus en plus vite. Les langues enseignées, et c’est une force de notre enseignement français à l’étranger, sont et seront toujours des vecteurs d’influence, de puissance politique, économique et culturelle.
– Nos réseaux éducatifs, L’AEFE et la Mission Laïque Française (MLF), participent également à la promotion de la francophonie universelle, une de nos priorités extérieures, au même titre que la construction européenne. Une politique imaginative doit prendre rendez-vous pour accompagner notre pays vers de nouveaux horizons en replaçant la réussite, la pédagogie et la qualité au cœur du financement d’un réseau porteur de valeurs éthiques et humanistes, au service de la France et des familles, françaises et étrangères, qui nous font confiance. (LD)