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Marie-Christine Kok Escalle (Université d’Utrecht)

1. La francophonie, terme dont on attribue l’usage à Onésime Reclus en 1880 est en fait un concept linguistique, géographique et idéologique pour classer les habitants de la planète en fonction de la langue qu’ils parlent. C’est aujourd’hui l’objet d’une organisation internationale, l’O.I.F. (Organisation Internationale de la Francophonie) fondée en 1970 (sous le nom d’Agence de Coopération Culturelle et Technique) et qui comprend 56 états ou gouvernements membres, et 19 observateurs – soit 75 pays « ayant en partage l’usage de la langue française et le respect des valeurs universelles » – avec 220 Millions de locuteurs de français dans le monde.
À l’occasion des 40 ans de l’OIF, une synthèse de l’ouvrage La langue française dans le monde 2010, paru chez Nathan (Paris) est accessible via le lien. L’OIF est issue d’une longue chaine de fabrique institutionnelle, émanant de la société civile avant d’être entreprise par les gouvernements et états. Ainsi :
En 1926 avait été créée l’association des écrivains de langue française, en 1950 l’association internationale des journalistes et de la presse de langue française (aujourd’hui Union de la Presse française), en 1955 la communauté des radios publiques francophones (F, Suisse, Canada, Belgique), en 1960 la conférence des ministres de l’éducation des pays francophones (CONFEMEN), en 1961 l’AUPELF, association des universités partiellement ou entièrement de langue française, en 1967 l’association parlementaire de la francophonie (APF) et en 1970 l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) devenue l’Agence intergouvernementale de la francophonie avant de devenir en 1997 l’OIF.

L’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) qui a remplacé l’AUPELF en 1989, est porteur d’un projet politique, celui de conforter une communauté scientifique de langue française, solidaire.
Cette instance universitaire de la francophonie corrobore une identité plurielle francophone, caractérisée par une appartenance communautaire qui renvoie à la langue, à un espace géographique, à une dimension politique, à un imaginaire communs.
La Charte de la francophonie a pour objectifs entre autres « l’instauration et le développement de la démocratie … le rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle … la promotion de l’éducation et de la formation » (lien vers la charte).
Elle associe langue française et langue de la fraternité, de la solidarité et même de la responsabilité pour maintenir la diversité culturelle dans une mondialisation qui est aussi linguistique.
Cette organisation internationale est finalement le fruit de l’histoire, des réalités de l’offre et de la demande de langue française à l’étranger.

2. La présence et l’usage de la langue française dans le monde a un ancrage historique. La diffusion du français hors de France, en Europe et dans le monde, a été dès le XVIe siècle favorisée par des facteurs religieux, culturels, politiques, économiques et idéologiques.

3. La francophonie est aujourd’hui l’enjeu d’une « autre mondialisation » pour reprendre le terme de Dominique Wolton et de Philippe d’Iribarne. Elle est le champ et l’outil d’une lutte identitaire mais aussi économique.
C’est à Québec (Canada) qu’a eu lieu le 1er Forum mondial de la langue française en juillet 2012 et c’est à Liège (Belgique) qu’aura lieu le 2nd en 2015. Ce forum s’adresse « à tous les amoureux de la langue française » pour que « la langue française continue de rayonner et se déployer dans tous les secteurs de l’activité humaine ». Le choix de Québec, lieu de francophonie en Amérique du Nord est à la fois un signe de reconnaissance et une entreprise de soutien ou de sauvegarde, le français étant d’une certaine façon menacé ou en difficulté dans ce continent. Si l’on a besoin de « célébrer sa vitalité » en cette ville de Québec, dans une province officiellement de langue française, c’est peut-être aussi une manifestation d’inquiétude face à une présence moins forte de la langue française, dans les pays traditionnellement de langue française, mais aussi dans les organisations internationales où par commodité la langue unique devient un anglais adapté aux besoins, comme on le constate à La Haye, « cité internationale de la justice ».
Qu’est-ce qui est en jeu dans ce rayonnement de la langue française ? C’est le partage de valeurs d’un côté, c’est d’un autre coté l’existence de divers contextes d’interprétation, c’est-à-dire la diversité d’expressions culturelles, la diversité de principes et de cadres de référence pour la socialisation et les pratiques économiques. Bref c’est une autre culture politique que celle que la mondialisation libérale issue du modèle anglo-saxon propose.
Dominique Wolton, sociologue de la communication, de père britannique, pour qui « la Francophonie ne doit pas être le Poulidor de la mondialisation », se fait le porteur d’un message politique pour faire de la Francophonie un outil mondial au service d’une cohabitation plurielle caractérisée par le respect des différences, donc des identités et cultures dans la communication, seul garant de la paix en ce monde.
Wolton propose le concept de « cohabitation culturelle » que la Francophonie a à promouvoir, face à la mondialisation technique (celle des outils de l’information et de la communication) et à la globalisation économique (dont celle des industries culturelles). Il voit dans ce concept « à construire », un « concept démocratique susceptible d’ordonner la diversité culturelle qui devient l’enjeu politique, majeur, du village global ». C’est un projet politique qui demande de « sortir de la logique économique et technocratique dominante », « de reconnaitre le caractère hétérogène des sociétés » et donc de faire une place à l’altérité en préservant la pluralité des langues, première condition de la diversité culturelle (L’autre mondialisation 2003 : 84-89).
La défense de la langue dont s’est occupée la francophonie est devenue une défense de la culture, puis des droits de l’homme et enfin une politique du développement durable. En témoigne entre autres le fait que d’une part les états francophones de fait, sinon de droit, ne sont pas tous membres de l’OIF et d’autre part que l’OIF comprend des membres qui ne sont pas historiquement francophones.

Bibliographie
P. d’Iribarne, Cultures et mondialisations, Points Seuil, 1998, 2002
D. Wolton, l’autre mondialisation Champs, Flammarion 2003
D. Wolton, Demain la francophonie, Flammarion 2006
D. Wolton, L’identité francophone dans la mondialisation rapport de la cellule de réflexion stratégique de la francophonie décembre 2008
http://www.auf.org
http://www.francophonie.org

Dr Marie-Christine Kok Escalle | Instituut voor Cultuurwetenschappelijk Onderzoek (ICON) / Institute for Cultural Inquiry | Universiteit Utrecht | Trans 10 | NL- 3512 JK Utrecht |
M.C.J.Kok-Escalle@uu.nl | www.hum.uu.nl |
http://dhfles.revues.org/57